L’enregistrement

Les principaux renseignements qu’utilise l’enquête TRA-patrimoine proviennent d’informations produites par l’administration de l’Enregistrement en vue de taxer la richesse individuelle au décès. Elles touchent sur deux siècles la totalité de la population française et offrent un observatoire de la richesse à la fois systématique et d’une grande continuité.

L’Enregistrement est une administration qui remonte à l’Ancien Régime. Mais, refondée en l’An VII, elle est réorganisée de façon à ce que soit strictement appliqué le principe révolutionnaire de l’universalité de l’impôt. C’est pourquoi les sources qu’elle produit constituent un moyen sûr d’atteindre la population dans son ensemble : la loi de l’an VII stipule que le fisc doit être averti de chaque décès.

Pour le ressort qui est le sien, chaque bureau de l’Enregistrement doit à la fois s’assurer que toutes les successions font bien l’objet de déclaration et que ces déclarations sont fiables, ce qui impose de se doter de moyens de vérification adéquats et donc de produire en grand nombre ses propres sources d’informations.

Les TSA

Pour pouvoir maîtriser ces différentes sources et passer rapidement de l’une à l’autre, est constitué un répertoire synthétique d’ensemble : les Tables des successions et absences (TSA). Ces Tables ont une double caractéristique. Elles portent sur tous les individus décédés et fournissent des informations précises et contrôlées sur la situation de chacun et sur son patrimoine au moment du décès.

La loi de l’an VII qui codifie l’Enregistrement stipule que le fisc doit être averti de chaque décès. Concrètement, elle le rend destinataire des listes qu’établit l’état civil. Les maires sont donc tenus de communiquer ces listes chaque trimestre à l’administration fiscale qui peut ainsi amorcer son travail de collecte, de vérification et de stockage de toutes les informations qui lui sont nécessaires sur la base d’un recensement exact de la population soumise à l’impôt. Pour le ressort qui est le sien, chaque bureau de l’Enregistrement doit à la fois s’assurer que toutes les successions font bien l’objet de déclaration et que ces déclarations sont fiables, ce qui impose de se doter de moyens de vérification adéquats et donc de produire en grand nombre ses propres sources d’informations. Mais alors, les services fiscaux sont confrontés à un risque bien réel : celui d’être submergés par la marée montante des renseignements qu’ils recueillent. Pour le conjurer, il leur faut pouvoir naviguer entre toutes ces différentes sources et passer rapidement de l’une à l’autre. C’est ce pourquoi est constitué un répertoire synthétique d’ensemble : les Tables des successions et absences (TSA).

En même temps, comme elles sont la clef de voûte d’une machine informationnelle compliquée, ces tables évoluent à peine. Du début du XIXe siècle jusqu’à la fin de l’entre-deux-guerres, elles identifient selon un ordre à la fois alphabétique et chronologique toutes les personnes qui décèdent ou laissent des biens dans un bureau donné et relèvent pour chacune presque toujours les mêmes indications : la date du décès, le domicile et, éventuellement, le lieu du décès, la profession au décès, l’âge, l’état marital, le nom du conjoint, le cas échéant les situations d’indigence ainsi que l’existence ou non d’une succession (sous forme d’un renvoi aux registres ad hoc). Enfin, elles indiquent la valeur de la succession en distinguant le montant du mobilier et de l’immobilier. Plus précisément, cette information ne figure systématiquement dans les Tables que jusqu’en 1865. Après cette date, elle cesse progressivement d’y être notée et, pour l’obtenir, il faut alors se reporter aux déclarations elles-mêmes qui dressent en détail la liste des biens des défunts. Ces déclarations, classées par ordre chronologique, sont consignées dans les Registres de mutations par décès.

Les déclarations de succession

Parallèlement, l’Enregistrement consigne la description détaillée des patrimoines dans les Registres de mutations par décès (RMD). Y figurent dans l’ordre chronologique les renseignements que sont tenus de fournir au fisc les héritiers des personnes décédées. Ceux-ci (ou leur mandataire) doivent en particulier déclarer les biens laissés par le défunt et leur valeur. Lorsque la succession n’est pas vide, la TSA renvoie à la déclaration de succession reportée dans les RMD. Celle-ci donne des informations détaillées sur la richesse du défunt sa composition. Une partie du travail de l’Enregistrement consiste à attribuer au défunt la partie du patrimoine « familial » qui lui appartient en distinguant entre les biens propres et les biens communs des époux en fonction du contrat de mariage.

Les données produites par l’Enregistrement ont évolué. Dans un premier temps, la fortune mobilière détenue par un individu est évaluée par le bureau correspondant à sa commune de résidence. La fortune immobilière est elle enregistrée dans le bureau où elle est située. Pour le fisc, agréger toutes les informations éparpillées qu’il détenait sur un même individu s’est en effet longtemps révélé un objectif hors d’atteinte. Lorsqu’un défunt détenait des biens dans plusieurs bureaux, l’administration se contentait d’ouvrir une fiche dans chacun d’eux, quitte à les relier par un système de renvois. Ce n’est qu’à partir de 1901 que le passage à une fiscalité progressive et l’obligation de prendre désormais en compte l’actif total – plus précisément l’actif total net, donc passif déduit – a imposé l’agrégation de toutes les informations locales concernant un même individu.

Après comme avant la réforme de 1901, le fisc a continué à devoir fréquemment ouvrir plusieurs fiches pour une même personne. En fait, le nombre de déclarations par individu n’a cessé d’augmenter pendant toute la période examinée. Cette tendance très générale (puisqu’elle concerne tous les individus, qu’ils laissent ou non un actif au décès) traduit les efforts de l’administration pour mieux cerner les patrimoines. Plus précisément, l’Enregistrement a d’abord consenti une première vague d’investissements pour se doter d’outils qui lui permettent de classer, stocker et mobiliser une masse croissante d’informations organisées partout sur le même modèle et qui pouvaient donc aisément circuler d’un bureau à l’autre. Puis, une seconde étape, plus ambitieuse, a visé à étendre l’information existante en créant – en 1865 – un Répertoire général des transactions patrimoniales qu’un individu réalisait au cours de son existence. En suivant le cycle de vie de la richesse de chacun, l’objectif était de permettre d’en faire un bilan plus exhaustif lors du décès et, par contre-coup, la meilleure connaissance des patrimoines a conduit à multiplier le nombre de fiches par individu. Le même phénomène s’est produit avec la réforme de 1901 qui, loin de diminuer le nombre de fiches ouvertes pour un même individu, l’a encore augmenté. D’une part, les exigences accrues du fisc rendaient plus fréquentes les déclarations incomplètes ou erronées ; d’autre part, un nombre croissant d’organisations étant appelées à fournir des informations, celles-ci ne parvenaient aux services fiscaux que de façon échelonnée ce qui imposait souvent d’ouvrir des déclarations complémentaires ou rectificatives.